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Marie Béziès 4 min

Devine où j'suis !

À première vue, on ne sait pas vraiment dans quoi on s’embarque lorsqu’on observe la couverture aux tons chauds de cet album signé Richard Marnier et Aude Maurel. Comme souvent, j’ai pour ma part d’abord été séduite par « son physique » (eh oui, c’est souvent comme ça que ça marche !), le style particulier de l’illustration et la profusion de couleurs et de détails, mais également par la part de mystère suggérée par le titre : Devine où j’suis ! Qui est cette petite fille aux airs de poupée matriochka, et que fait-elle dans cette espèce de trou nauséabond ?

Dans une gentilhommière, à l’heure du thé, un téléphone retentit sur l’air de J’aime la galette…

ti dadidadi da ! ti dadi dada !

Le mystère reste entier à la première double page, où l’on découvre une autre poupée matriochka en train de servir le thé à un loup fardé, arborant boucle d’oreille et fleur dans les cheveux (ou plutôt « poils de la tête »)… est-ce le grand méchant loup qui s’est encore déguisé parce qu’il a très très faim ?

Nous y sommes ! Ou plutôt, pas tout à fait… puisqu’on découvre à la troisième double page que la deuxième poupée matriochka est la maman de la première (celle de la couverture) qui n’est autre que le Petit Chaperon Rouge (accompagné de son fameux panier) ! Ce dernier lui signale, grâce à son téléphone portable, qu’il se trouve en ce moment même dans le ventre du loup, qui n’est pas celui de la première double page, mais son fils ! Auteurs, comme vous savez bien déjouer les attentes de vos lecteurs ! S’ensuit une série de dialogues et de péripéties rythmés où l’on découvre que le loup se situe lui-même dans le ventre de l’ogre, qui lui-même est captif du ventre du dragon, ce dernier étant lui-même enfermé dans le château dont le chevalier détient la clé ! Grâce au téléphone qui passe de main en main, la maman du Petit Chaperon Rouge, fâchée, ordonne un peu de discipline, en menaçant tour à tour les différents protagonistes d’en avertir leurs mères, qui sont à cet instant en train de boire le thé avec elle dans la gentilhommière. Or, le chevalier ne peut libérer le dragon qui ne peut recracher l’ogre qui ne peut vomir le loup qui ne peut expectorer le Petit Chaperon Rouge, sans l’aide de la Mère-grand. En effet, celle-ci, ennuyée de ne pas retrouver son panier caché par les petits garnements, retient le chevalier par son fond de culotte.

« Repose Chevalier Minot ! dit la mère du Petit Chaperon Rouge, et tout s’arrangera… »

Le chevalier, enfin libéré, s’empresse alors d’aller délivrer le dragon et… vous avez compris la suite. C’est l’effet matriochka

La progéniture enfin libérée, mais à nouveau affamée, Mère-grand leur offre un goûter de choix : la galette que contenait le panier ! Or, elle finit par constater qu’une seule galette pour le goûter, c’est un peu léger !!! Ceci vous laisse présager la suite…

Un album à dévorer… encore et encore !

C’est tout d’abord une mine d’or en termes de références littéraires, qui installe d’emblée un jeu avec le lecteur, par une déconstruction audacieuse et enjouée des stéréotypes. L’humour naît du décalage entre l’horizon d’attente du lecteur, vis-à-vis des contes qu’il connaît, et le détournement qu’en font les auteurs. On peut constater qu’ici, les méchants ainsi que l’acte de « dévorer » perdent leur caractère dangereux, comme si l’album avait pour fonction de désactiver la peur suscitée par ces personnages dé-stéréotypés. On notera également que le décalage humoristique est amplifié par un élément actuel, le téléphone portable, introduit au sein d’une époque sans âge, et côtoyant chevaliers, châteaux forts et autres dragons, qui savent très bien s’en servir !

Selon moi, cet album est donc à mettre entre les mains d’enfants qui ont déjà construit leurs stéréotypes, puisque c’est bien la connaissance préalable des contes traditionnels qui provoquera chez eux le rire et qui fait en grande partie l’intérêt du bouquin.

Mais pas que ! En effet, sa richesse réside également dans sa profusion lexicale et dans l’alternance des registres de langue, en fonction des personnages. Le Chevalier Minot est notamment très drôle dans son genre :

« Malheureuse ! s’exclame le chevalier, cette requête est inenvisageable ! Devinez où se tient mon auguste personne ? »

Le livre se prête également à une lecture à voix haute, grâce à l’oralité des tons employés :

« Grrrrrrr… t’es devant ton four à surveiller la cuisson des galettes, comme d’hab ! » grogne le dragon.

… et on peut multiplier les tonalités de voix, en imitant tour à tour chaque personnage ! Bref, il y a de quoi faire de belles mises en scènes, voire pièces de théâtre, avis aux plus motivés !

 

* Mention spéciale pour les illustrations : superbes !!

 

Devine où j’suis !, Richard Marnier et Aude Maurel, éditions Frimousse, 2016.

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