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Manon 4 min

Aux couleurs de Frida

Raconter la vie tumultueuse de Frida Kahlo est un projet plutôt audacieux, mais Sébastien Perez et Benjamin Lacombe n’ont pas eu froid aux yeux : l’album Frida, publié chez Albin Michel en 2016, est un petit bijou. Sans parler de la première de couverture qui dès le premier coup d’œil en jette, il faut dire que ce livre est plutôt impressionnant. Tout d’abord, par le choix de son sujet : la vie de la curieuse Frida ne fut pas de toute légèreté. C’est un beau défi. Alors, challenge relevé ? C’est ce que nous allons voir. Sous forme de liste, c’est plus simple.

 

Une histoire de choix

– Aussi grand et plutôt épais que soit l’album, ne vous détrompez-pas, le texte n’est pas trop dense. Il y a juste ce qu’il faut.

En bref : Frida naît donc à Coyoacàn, au sud de Mexico dans la Casa Azul, une jolie maison bleue où elle finit ses jours également. Dès son plus jeune âge, elle apprend qu’elle est atteinte d’une poliomyélite (maladie contagieuse pouvant mener à une paralysie de la jambe) ce qui lui vaut une jambe atrophiée et le surnom de « Frida la boiteuse » par ses camarades. Alors qu’elle a entamé des études de médecine, Frida est gravement blessée à la suite d’un accident de bus qui lui vaut d’être alitée plusieurs mois. Les 9 thèmes principaux de sa vie sont abordés sous forme de 9 tableaux : l’accident, la médecine, la terre, la faune, l’amour, la mort, la maternité, la colonne brisée, la postérité.

– Sébastien Perez a réussi à retranscrire la plume poétique de Frida. Les paroles de l’auteur et celles du peintre s’entremêlent, et elles s’entremêlent bien. Preuve à l’appui ci-dessous.

« Il y a peu, […] j’étais une petite fille qui marchait dans un monde de couleurs […]. Tout n’était que mystère […]. À présent, j’habite une planète douloureuse, transparente, comme de glace, qui ne cache rien. » [Frida Kahlo]

Je me destinais à étudier les corps et c’est finalement mon propre corps qui m’enseigne et orchestre ma vie. Peignant au rythme de mes douleurs, un dégradé de vert à rouge sang, je suis ce que je vis. » [Sébastien Pérez]

Chanson douce. Le lecteur comprend bien toute la sensibilité de Frida, elle qui, selon ses propres mots, « habite une planète douloureuse, transparente, comme de glace, mais qui ne cache rien ».

 

En voyage avec Frida

– À l’image de la vie tumultueuse de Frida, Benjamin Lacombe nous en fait voir de toutes les couleurs. Si le motif de la tristesse est récurrent, la palette de l’illustrateur nous met très vite du baume au cœur. Chaque émotion est caractérisée par une couleur : la tristesse est bleue, la douceur est verte, l’amour est rouge et fleuri de roses pourpres, la mort est éclatante. « Violet. Vert. Orange », la douleur – notamment celle d’avoir perdu plusieurs enfants – est noire.

– De cet ouvrage aux milles teintes, en ressort ainsi une vie contrastée, sombre certes, mais riche, colorée et surtout passionnante.

Frida 2.0. : il fallait l’oser, Benjamin Lacombe l’a fait. Les tableaux de Frida sont repris, adaptés. Le lecteur n’en voit que mieux l’univers complexe de l’artiste. Je pense par exemple à cette illustration de Diego Riviera qui tient dans ses mains littéralement, l’amour qu’il a pour Frida : son cœur. 

– La volonté de Benjamin Lacombe et Sébastien Perez était « d’entrer dans les entrailles de la création », cela est précisé à la fin de l’ouvrage. En effet, on y pénètre peu à peu, par les différentes couches créées par des pages qui se superposent, et qui forment un tout. On entre dans le livre de la même façon que l’on entrerait dans un tableau de Frida, où il faut dénicher les symboles, les références orientales ou aux mythologies mexicaines.

 

Pour les grands et les petits

– Aussi épatant que soit cet album, j’émets une petite réserve cependant sur la façon dont le récit est mené. 9 tableaux à thèmes c’est une bonne idée, mais il est difficile de suivre la cohérence et la chronologie d’un récit parfois trop suggestif. 

– Deux possibilités donc : ou bien le lecteur est découragé et ne comprend pas l’histoire mais en savoure les illustrations ; ou bien le mystère attise sa curiosité et il veut persévérer dans sa lecture et revient sur ce qu’il n’a pas compris. Penchons plutôt pour la seconde attitude. Du même coup, cet album ne saurait déplaire aux lecteurs plus âgés ! (D’ailleurs c’est bien chez Albin Michel qu’il est publié, et non Albin Michel Jeunesse.)

Je ne peux qu’en tout cas admirer l’initiative de ce projet qui s’achève sur ces mots : « Ne m’oublie pas ». Avec le résultat de ce beau duo, cela ne risque pas !

À savoir : la courte biographie et les explications de Benjamin Lacombe à la fin de l’ouvrage devraient résoudre le problème. À lire avant la lecture de l’album pour les plus jeunes.

 

Frida, Benjamin Lacombe et Sébastien Pérez, éditions Albin Michel, 2016.

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