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Manon 3 min

Les mystères de Kalil

Kalil_Escoffier

 

« Il n’avait plus qu’un œil et portait une longue barbe blanche qui lui couvrait la moitié du visage » : voici l’apparence du personnage éponyme, Kalil, qui apparaît dans le dernier album de Michel Escoffier, publié aux éditions Frimousse il y a quelques semaines. Étrange et peu esthétique, doit être son apparence, me direz-vous. Eh bien figurez-vous qu’il n’en est rien. Car Kalil n’est autre qu’un triangle isocèle blanc (oui, il m’a fallu chercher la définition dans Google pour être certaine d’utiliser la bonne expression). Je m’explique.

Péripéties d’un album noir

En découvrant les premières pages et d’ailleurs dès la première de couverture, je savais que ce livre serait spécial. Et en effet, constitué d’épaisses lignes droites, d’un triangle et d’un croissant de lune, Kalil n’est autre qu’un ouvrage pour le moins original. Dans une forêt sombre, qui donne la tonalité de l’intégralité de l’histoire – notamment car elle se déroule sur fond noir – le vieux Kalil cherche « quelque chose à se mettre sous la dent ».

Après de longues heures de marche, il se réfugie dans une église, toujours dans l’espoir d’y trouver à manger. Mieux encore qu’un casse-croûte, c’est une lampe à huile contenant un génie qu’il découvre et qu’il libère. Pour le remercier de son geste, celui-ci lui accorde un vœu. Aussi vieux que soit le personnage, Kalil n’est pas un sage pour autant. Trop gourmand, il désire l’océan entier, l’éternelle satiété et de voyager « au gré des courants » autant qu’il le souhaite. Que restait-il à faire au génie ? Le changer en… (*spoiler alert*) poisson.

Tout est bien qui finit (plus ou moins) bien

Pardon de vous raconter la fin, mais je ne pouvais l’éluder car c’est bien là toute la surprise, tout l’humour et l’aboutissement de l’histoire :

« Méfiez-vous des sauveurs qui vous promettent la lune, ou vous finirez au bout d’un hameçon ».

 

Kalil_Escoffier_extrait

 

Parce que la chute est brutale et drôle, le lecteur comprend enfin. Les quelques éléments géométriques colorés – solitaires dans chacune des pages – y sont finalement rassemblés au dernier moment. Les rares couleurs rencontrées au fil des pages ont abouti à une palette : de l’assemblage de ces formes géométriques né un poisson au bout d’un hameçon ; de cette tonalité lugubre a abouti logiquement une fin bien noire pour notre héros, mais un véritable conte moderne, par ses illustrations, pour le lecteur.

Le je(u) du lecteur

D’abord légèrement perturbée, voire sceptique, devant l’économie esthétique de l’album, j’ai peu à peu pris goût à ce mode de lecture mystérieux. En réalité, il nous oblige, nous (/moi), lecteurs (/lectrice) parfois trop plein(e) de préjugés ou fainéants, à aller plus loin que le bout de notre nez. Parce que les illustrations ne sont pas concrètement à l’image de ce qui est raconté, nous devons laisser place à notre imagination. Il nous faut remuer un peu nos méninges pour interroger le choix de l’auteur, qui ne s’est sûrement pas laissé emporter par un élan de folie. C’est en cela que j’ai apprécié ce livre. Il faut consacrer du temps à chaque image, y revenir, pour comprendre ce qu’elles signifient. Michaël Escoffier se joue un peu du lecteur qui, à la façon de Kalil, a peut-être sous-estimé l’intérieur d’un riche objet

Kalil, de Michaël Escoffier, éditions Frimousse, octobre 2015. 

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