S

Kummba 6 min

Sauveur & fils

Si, comme moi, vous êtes une « muraillette » de la première heure, vous n’avez pas pu passer à côté de Sauveur & fils, le dernier roman de Marie-Aude Murail.

Sauveur, psychologue clinicien de profession, passe son temps à essayer de sauver ses patients. Margot se scarifie, Ella est phobique scolaire, Cyrille fait pipi au lit, Gabin est insomniaque. Ça en fait des problèmes à régler. Sans compter que sauveur doit aussi s’occuper de son propre petit garçon, Lazare, 8 ans, qu’il élève seul.

Quelle joie ça a été pour moi de découvrir ce nouveau petit bijou, qui vient s’ajouter à une liste déjà bien longue de romans très puissants. On retrouve Marie-Aude Murail telle qu’on la connait, nous faisant passer du rire aux larmes (ce qui peut vous valoir quelques regards intrigués de vos voisins de métro). Un véritable concentré d’émotions.

Mais laissons la parole à l’auteur, qui nous a fait l’honneur de répondre à quelques questions.

Commençons par Sauveur, le personnage principal est un adulte, noir, psychologue, plutôt éloigné de vos héros qui sont, la plupart du temps, des adolescents. Qu’est-ce qui vous a amené vers un tel personnage ?
J’ai déjà introduit des adultes en bonne place dans mes romans : Nils Hazard, pour ne citer que lui dans les sept épisodes où je mets en scène mon « chasseur d’énigmes ». On pourrait citer aussi Cécile, la jeune institutrice de Vive la République ! ou les parents dans Papa et maman sont dans un bateau. Je crois que mon idéal, maintenant, c’est le roman « tous publics », à la Dickens. Mon plus grand plaisir est d’entendre un adulte me dire que son ado l’a converti à mes livres. Ou à l’inverse, sur un salon, une dame : « Moi, j’ai beaucoup aimé, mais vous croyez vraiment que ça va l’intéresser, à son âge ? ». Mes lecteurs ont entre 7 et 77 ans et mes personnages aussi.
Sauveur est au confluent de plusieurs courants qui m’ont portée ces dernières années. Entre 3000 façons de dire je t’aime et  Sauveur & fils, je n’ai rien publié pendant trois ans… Je ne me suis pas tourné les pouces ! J’ai consacré tout ce temps à classer, lire et méditer de riches archives familiales, qui m’étaient tombées dessus après la mort de mon papa en 2010 et que j’avais laissées de côté en me disant « on verra ça quand je serai à la retraite »… Quand j’ai pris conscience qu’il n’y avait pas vraiment de « retraite d’écrivain », j’ai ouvert ces journaux intimes, ces lettres du front (deux guerres !), ces correspondances amoureuses du siècle dernier, j’ai regardé ces photos qui me regardaient, et j’ai écrit le roman de ma famille, qui forme 300 pages illustrées, rangées  dans un tiroir et 9 gros classeurs noirs posés sur une étagère de ma bibliothèque. Parmi ces archives, il y avait une centaine de lettres que j’avais envoyées à maman pendant mon séjour aux Antilles, de septembre 1975 à décembre 1976 et qu’elle avait conservées. J’ai relu ces lettres, et ce fut comme si j’étais transportée à nouveau dans cette « île amoureuse du vent/où l’air a des senteurs de sucre et de vanille/et que berce au soleil du tropique mouvant/le flot tiède et bleu de la mer des Antilles ». Quand j’ai recommencé à écrire pour la jeunesse – je n’étais plus sûre du tout que j’y parviendrais et c’est pourquoi j’ai écrit d’abord un petit « Mouche » qui sortira à l’automne, Zapland – je me suis aperçue au bout de quelques pages que Sauveur était noir et antillais… mais ça n’avait rien de prémédité ! Je me suis dit : il va falloir que je lui invente la  vie qui va avec. Je me suis replongée dans mes lettres.
Le choix de l’angle « psy » vient sans doute d’une série israélo-américaine que j’ai regardée, In Treatment, dont le principal protagoniste, Paul Weston,  semble tomber de semaine en semaine dans tous les panneaux qu’un thérapeute doit éviter : succomber à une de ses jolies patientes, se mettre en colère et en frapper un autre, etc. Je me suis rendue compte aussi qu’un cabinet de psy serait un lieu magique pour explorer la psyché adolescente et son rapport avec le monde adulte. J’avais déjà utilisé ce lieu si particulier, un cabinet médical, où se déverse toute la souffrance du monde, dans La fille du Docteur Baudouin.

Sauveur garde un lien très fort avec la Martinique dont il est originaire. Avez-vous aussi un lien particulier avec les Antilles ?
Oups, j’ai répondu à la question… J’ajoute que je ne suis retournée en Martinique que deux fois, pour des courts séjours. Le flot était toujours tiède et bleu sur la plage des Salines  ou à Tartane et les mangues aussi délicieuses. Il y avait malheureusement de plus en plus de voitures et les autobus étaient les mêmes que vingt ans auparavant, un peu plus fumants.

Quelles ont été vos sources d’inspirations pour ce roman ?
Idem. J’ajouterais que j’ai dévalisé le rayon psy de ma médiathèque, non pas pour « m’inspirer » mais plutôt pour me documenter. Et puis, comme nous sommes tous des malades mentaux, mon entourage familial et amical m’a fourni aussi pas mal de matériaux… Fréquenter un écrivain vous expose à vous retrouver peu ou prou dans ses livres, un jour ou l’autre. « Toute ressemblance avec des personnes ayant existé, etc. ». Elles se reconnaîtront peut-être.

Quel(s) message(s) avez-vous voulu faire passer à travers Sauveur & fils ?
Je n’essaie jamais de « faire passer un message ». Ça ferait ch… tout le monde, et moi la première. Mais je n’écris pas non plus pour passer le temps. Je veux faire rire et pleurer mon lecteur, convoquer ses émotions. Je dois donc taper fort, puisque je n’ai ni caméra, ni musique, ni effets spéciaux : rien que des mots.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans l’écriture de ce roman ?
C’était tellement facile que je n’ai pas pu m’arrêter et qu’à la dernière minute, on a mis « saison 1 » pour annoncer qu’il y aurait une « saison 2 ». Peut-être parce que j’ai décidé, enfin, que je n’avais désormais plus rien de mieux à faire que d’écrire. Dans une forme nouvelle d’urgence et de désir. Assez fatigante au demeurant !

La saison 2 est prévue pour cet automne, pouvez-vous nous en dire un peu plus ou est-ce top secret ?
C’est top secret, bien sûr ! Il y aura les mêmes personnages principaux, certains patients de Sauveur auront disparu (guéris ou pas), d’autres entreront dans la danse. Vous avez sûrement envie de savoir ce qu’il advient de Gabin, Lazare, des amours de Louise et de Sauveur, d’Ella-Elliot, des hamsters ? En tout cas, moi, j’avais envie, c’est pourquoi j’ai continué et je peux même vous dire que l’écriture de la saison 3 est entamée…

À ce propos, pourquoi préférer le terme de « saison » à « tome » ?
Je mange beaucoup de séries télévisées et, du coup, je préfère « saison » à « tomaison »… Et puis, j’ai pensé que ça déringarderiserait  (à prononcer très vite plusieurs fois) le livre.

Plus généralement, quels auteurs ou titres jeunesse pourriez-vous nous recommander ?
Heu… Manuel du borderline, Mieux vivre avec un schizophrène,  Harcèlement et cyberharcèlement à l’école, Sommes-nous tous des malades mentaux ?, C’est psychosomatique, est-ce le bon diagnostic ?, l’adolescent suicidaire, Facebook m’a tuer, Comprendre et traiter la souffrance psychique. Je rigooole, mais c’est ce dont j’ai besoin en ce moment.

Enfin, quels conseils donneriez-vous à d’aspirants écrivains pour la jeunesse ?
Tu veux écrire ? Eh bien, écris. N’est auteur que celui qui s’autorise.

Sauveur & fils, saison 1, Marie-Aude Murail, L’École des loisirs, avril 2016.

Avis de lecteurs

Rédiger un commentaire