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Ariane Baste Morand 3 min

Refuges

Un anniversaire de trop

Mila redoute les vacances qu’elle va passer en compagnie de ses parents sur l’île de Lampedusa qu’elle n’a pas foulé en 6 ans, depuis la mort de son petit frère Manuele. Depuis l’incident, les membres de la famille ne savent plus vraiment où est leur place : Mila a du mal à être la fille de ses parents, et sa mère a du mal à être mère pour sa fille. Seul le père de Mila, Ivo, semble tenir la famille sur ses épaules.

L’île est un endroit qu’elle redoute comme elle le regrette. Elle est heureuse d’y revenir, sans pour autant pouvoir se dégager du goût amer des mauvais souvenirs. Une fois qu’elle met la main sur un vélo, elle passe ses journées à explorer les plages, les criques, les moindres recoins de l’île qu’elle trouve magique et enchanteresse. Le paysage qu’elle y redécouvre l’emplit de sentiments contrastés mais lui procure des sensations qui la ramènent avec plaisir dans le présent. Seulement, toutes ses escapades sont des moyens d’échapper à l’approche de l’anniversaire de la mort de Manuele, et elle se retrouve bien vite seule.

Grâce à sa rencontre avec Paola, la nièce d’une amie de son père, les secrets de l’île vont lui être révélés. Elle n’est pas simplement un havre de paix pour ses habitants, elle est aussi un cimetière pour des tas de migrants qui s’échouent sur ses côtes.

Prise de conscience sur fond paradisiaque

Au milieu de ce retour aux racines, Mila et le lecteur découvrent le cauchemar que vivent les émigrants africains d’Érythrée.

« Elle était stupéfaite. Elle avait l’impression que tout un pan du monde se révélait brusquement à elle, avec des réalités dont elle n’avait jamais entendu parler, peut-être parce qu’elle avait choisi de les ignorer, peut-être parce qu’elle ne pouvait pas les percevoir, trop recroquevillée sur elle-même, occupée à regretter son passé ou à imaginer sa vie sans la naissance de Manuele. »

Huit voix font irruption dans le récit : il y a Amir, 15 ans et 2 mois, qui raconte la première rafle dont il a été témoin. Saafiya, 19 ans, qui tente désespérément de tomber enceinte pour être dispensée du « Sawa », le service militaire en Érythrée. Amanuel, 18 ans, qui s’échappe avec quelques camarades en plein service militaire. Et encore d’autres qui quittent leur famille en plein milieu de la nuit pour avoir une chance de s’en sortir, tout en sachant qu’ils mettent ceux qu’ils aiment en danger en se sauvant. La question qui leur vient le plus aux lèvres est : « Si on était nés ailleurs ? »

L’île devient alors symbole du naufrage des migrants dans leur entreprise de gagner l’Europe pour y trouver une vie meilleure, ou parfois même la simple possibilité de survivre.

Le contraste entre les descriptions de l’île qui est tout en abondance et pleine de vie naturelle, et le manque et la mort qui font partie intégrante du voyage des migrants, offre une perspective qui ouvre les yeux. On parle souvent de migration mais pas tellement du voyage en lui-même, de ce que cela veut dire de tenter sa chance, de laisser son pays derrière soi, de braver la mort sur la Méditerranée. Refuges nous propulse directement dans cette expérience : le coeur bat à tout rompre lors du passage des frontières, la gorge est sèche lorsque cela fait des jours que les personnages n’ont pas bu, la prière et la foi en Dieu, n’importe lequel, prennent tout leurs sens. On sent le soleil sur notre peau mais il y a toujours de l’ombre à portée de main. On sent la soif après l’effort, mais il y a toujours de l’eau rafraîchissante qui nous attend. C’est ce que Mila découvre et ce qui lui permet de faire la paix avec ses souvenirs.

Un livre très enrichissant sur le plan humain. Annelise Heurtier nous fait vibrer grâce à la richesse de sa plume.

Dès 13 ans.

Refuges de Annelise Heurtier est paru cette année aux éditions Casterman. 12 €.

Ariane

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