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Manon 3 min
L'origine du monde selon Bhajju Shyam
Création : voilà un titre quelque peu mystérieux que la première de couverture n’éclaircit pas vraiment à première vue. Et si, je l’avoue, ma curiosité a d’abord été attisée par le petit autocollant précisant qu’il avait été « fait à la main », je n’ai pas été déçue par les trésors qui y étaient cachés par Bhajju Shyam et Gita Wolf, aux éditions Actes Sud Junior.
« Au sein de la tribu [indienne, la tribu Gond] existe […] un clan appelé Pradhan, dont les membres sont les bardes désignés des légendes et de la cosmologie gond. Ce sont leurs récits traditionnels qui sont incarnés dans l’art gond et qui en constituent la substance. Typiquement, une peinture gond condense un conte oral long et complexe en une seule image sophistiquée. Les meilleurs artistes sont très conceptuels : ils utilisent des symboles et des métaphores pour révéler les connexions significatives entre les vies des hommes et les rouages du cosmos ».
Le poisson pas encore né
Nulle citation ne saurait mieux expliquer le dessein à l’œuvre dans cet ouvrage. Si seulement une dizaine de double-pages constitue l’album, sa lecture n’est pas brève pour autant. La « création », c’est celle du monde selon les traditions Gond : celle de l’eau que symbolise le poisson, des saisons rythmées par les insectes ou encore de l’art, ce don propre aux humains. Parce que l’histoire est racontée dans une langue métaphorique et poétique, il m’a fallu parfois relire le texte pour être sûre de comprendre totalement les illustrations parfois abstraites. Les symboles par lesquels l’auteur construit son histoire nous offrent une approche simple, sensible et imagée de la création : au commencement il y a l’eau. Et donc des poissons. Puis, vient l’air pour lequel Bhajju précise :
« L’histoire dit que lorsque le créateur fit le monde, il envoya une corneille bleue à la recherche d’une terre. J’ai imaginé ces corneilles tournoyant dans l’œil du cyclone depuis le centre de la création. Elles sont mes symboles de l’air. »
(Ré)création ?
L’auteur ne cherche pas à conter le récit exhaustif de la création du monde. Ce qu’il nous propose, c’est le regard d’une culture indienne, qui fait toute la beauté du récit. Nul besoin d’être un enfant pour en apprécier l’ouvrage, au contraire. J’ai été émerveillée par cet album aux pages aussi épaisses que du papier aquarelle, aux illustrations originales et exotiques, à la qualité d’un livre qui, fabriqué à la main, fait de nous un lecteur possesseur d’un livre littéralement unique et artistique.
Parce que ce livre est un conte, les notions plus complexes ne sont pas éludées : la vie y est, mais la mort aussi ; car l’auteur rappelle combien la vie humaine est contrastée : entre le jour et la nuit, entre l’homme et la femme, entre la vie et la mort. Si l’ouvrage s’achève sur le thème de « la mort et la renaissance », ce n’est que pour donner un peu plus d’espoir :
« La vie existe parce qu’il y a la mort : l’une contient l’autre. Tout comme la joie n’a pas de sens sans la tristesse, un début nécessite une fin. Mais chaque fin rend un nouveau départ possible. »
L’auteur ne pouvait pas mieux dire car la fin de cet ouvrage m’a ramenée à son début : je voulais être sûre d’avoir tout vu, tout lu, tout compris.
Pour les plus curieux, voici une vidéo mise à disposition sur le site des éditions Actes Sud qui montre de quelle façon (impressionnante) cette œuvre a été conçue :
[kad_youtube url= »https://www.youtube.com/watch?v=om6i3enGZ8c » ]
Création, par Bhaji Shyam et Gita Wolf, Actes Sud junior, octobre 2015.
Prix : 27€
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